Mon nom de famille est arrivé en France en 1921 sous la forme de mon grand-père. Il a traversé le XXème d’un pays à l’autre poussé par les espoirs qu’entretient tout migrant et bien qu’il soit âgé quand il expira pour la dernière fois, ni mon frère, ni moi ne l’avons connu. On ne peut évoquer la Pologne quand notre grand père est né car comme le souligne le père Ubu avec tant de justesse : « en Pologne, c’est-à-dire nulle part », la Pologne n’existait pas. Au-delà de cette incongruité historique et littéraire, il était un contemporain d’Albert Einstein et que chacun à leur manière, ils ont apporté leur pierre à l’Histoire.
Albert Einstein est notamment connu pour avoir exposer la théorie de la relativité restreinte et celle de la relativité générale. Mon grand-père, lui était plus connu dans le cercle familiale pour avoir fondé une famille et assuré subsistance à neuf de ces descendants. Cependant notre père lui n’a jamais été bien plus loquace qu’un doux grognement sur son propre père quand nous lui demandions plus amples détails. Et c’est parfois d’un simple bruit de bouche ou encore d’un silence profond que naissent le désir de savoir. Telle est l’origine de notre voyage.
Le séjour débute sur une envie contradictoire.
Alexis a faim, moi pas.
Malgré cette première dissonance fraternelle, nous entrons dans un fast-food situé face à la gare. Quelques minutes plus tard, je ressors blême, délesté de mon portefeuille et de l’étui contenant mes lunettes. La main invisible, celle qui garantit les mœurs de l’économie globale mais aussi l’existence du sentiment d’insécurité dans les quartiers a frappé. Elle vient de me spolier de mon appendice identitaire et d’une liasse de billets.
Plus de carte de crédit, de carte d’identité, de permis de conduire, de carte de sécurité sociale...
Sans-papiers, voilà qui complique la donne pour se déplacer dans une Pologne nouvellement entrée dans la sacro-sainte union européenne.
Une heure après la déclaration de ma situation administrative au commissariat de la gare, nous sommes finalement dans le train de nuit qui nous emmène vers l’est. Là où l’œil et la raison se disputent à l’horizon la source du soleil...
Agacé par ma candeur ou ma stupidité, j’essaie de m’endormir rythmé par le roulis du train. Les idées en vrac, je songe à cet album d’Hergé où les frères Dupont après des vols de portefeuille répétés finissent par découvrir l’appartement du pickpocket. Dans la bibliothèque du cleptomane sont rangés les trophées de ses victimes...
Dans la brume des songes, une situation similaire me revient à l’esprit : celle de mon amie partie à Madrid pour un an...j’essaie de mettre en perspective ma situation, celle des Dupont et la sienne, je ne suis qu’une victime supplémentaire dans le décompte des volés en voyage... Mon souffle ralentit et se fige sur la sérénité de son visage et la beauté de ses lèvres... Lâcher-prise... Le souvenir de son image a la vertu d’un anxiolytique. Je m’endors dans le train de nuit pendant qu’Alexis boit dans le wagon-bar du schnaps avec des allemands.
Arrivés à Berlin, nous devons trouver une solution pour résoudre cette contrainte imposée au fast-food.
Je sens Alexis nerveux. Cette situation compromet notre voyage : sans permis de conduire, difficile a priori de louer une voiture dans une agence rentacar et sans carte de crédits, notre souplesse financière s’amoindrit. Le compte bancaire d’Alexis est fournit comme celui d’un étudiant en attente de sa bourse universitaire...
Par naïveté, fantaisie ou intuitions créatives, ce voyage ressemble à un poème où leurs auteurs s’amusent à y inclurent de plus en plus de difficultés (la période des fêtes, la froideur de l’hiver, le peu d’informations disponible sur leur famille et pour finir la disparition de la manne financière) et ce afin d’épurer, colorer ou rythmer la prosodie du voyage.
Alors, oui ! La poésie est un voyage, et oui ! La réciproque n’appartient qu’à ces voyageurs en deuil d’ici et en désir d’ailleurs.
Nous descendons du train de nuit en gare de Berlin au petit matin. Pas le temps de visiter la capitale allemande. Pas le temps de s’attarder non plus, nous prenons le train pour Poznań. Juste le temps de remarquer la fusion du commerce et du déplacement dans l’architecture de cette gare. Juste le temps d’admirer un centre commercial de quatre étages traversé en sa base et en son sommet par des rails dirigés vers les quatre coins de la Mitteleuropa.
Dans le train, nous subissons la logorrhée d’une allemande assise dans notre compartiment. L’avarice du silence existe belle et bien... Trois heures plus tard, soulagés, nous arrivons en Pologne.
Un constat en notre faveur : les emmerdements à la frontière n’existent plus et aucun contrôle de papiers ne nous a été imposé par des douaniers zélés.
Pour une fois, au lever du soleil, les deux frères sont synchrones.
L’excitation de la nouveauté et de la conquête d’une part d’eux-mêmes les a sorti d’un lourd sommeil.
Deux motivations les animent : Prendre du son et résoudre l’affaire du permis de conduire
Ce matin, il règne, à Poznań, une torpeur hivernale. La température proche de -10° C. doit sans doute soutenir la sérénité du lieu.
Se rajoute à ce constat climatique, la marche active des pèlerins pointée vers le tourbillon des cloches des bâtiments dédiées aux forces supraterrestres. Pour l’enregistrement de la liturgie, nous n’avons que l’embarras du choix. Chaque temple visité est bondé de fidèles endimanchés de tout âge. De notre regard d’étranger, dans chaque église, nous sommes saisis par la plus value de style : l’une porte au dessus du portail d’entrée, un orgue monumental à faire pâlir les aficionados de Notre-Dame de Paris, une autre, dans le choeur, possède une crèche animée par des automates rivalisant d’ingéniosité avec Pixar pour s’adresser à l’imaginaire des enfants et une autre encore ressemble à un hangar et pourtant pouvant contenir plus d’un millier de polonais.
Par l’exhibitionnisme de la technique sonore, nos enregistrements virent au comique. Deux boules de mousse de la taille d’une bouteille de bière dépassent d’une tige télescopique noire qui s’étend jusqu’à la hauteur d’un zinc de bar. Cette technologie déambule dans les allées des églises où il est l’heure de psalmodier, chanter et encenser.
Et sans scrupule, notre enregistreur capte l’instant dans sa diversité sonore pour l’inscrire dans le marbre numérique.
Petit matin brumeux. Nous quittons l’auberge de Poznań.
A l’agence de location de voitures, busines is busines .
La carte de crédit n’est pas suffisamment achalandée mais la tenancière du garage accepte un paiement de caution payé d’une part en zloty avec la carte bancaire, de l’autre en euros avec espèces. Elle accepte aussi que je roule avec la déclaration de vol du permis de conduire.
Les complications bureaucratiques varient en fonction des époques et des lieux semble-t-il...
Dans une voiture marquée par le sceau du lion, nous quittons Poznań et son demi-million d’habitants pour nous diriger vers Inowroclaw. Marcellina, la traductrice démarchée quelques jours auparavant à Paris, nous y attend.
Pour demander notre chemin, nous errons un certain temps avec notre polonais Assimil. Malgré tout et avec 30 minutes de retard, nous retrouvons Marcellina et son ami Michal à la gare. Aux premiers abords, le flegme de Marcellina refroidit notre enthousiasme mais par la suite, au contact de son caractère réservé apparait une pudeur sincère et un humour pince-sans-rire.
Grâce à nos nouvelles connaissances, nous trouvons rapidement le bâtiment des archives de la région qui ne semble pas être la préoccupation des autorités polonaises. Construit après la seconde guerre mondiale, il se confond avec les casernes ou entrepôts des alentours.
L’accès aux archives ne pose aucun de problème à condition de signer des fiches à la fin de la recherche. La lecture des poussiéreux registres allemands du XIX ème siècle est une véritable délectation de boulimiques d’histoire. Ils portent sur les mariages et les baptêmes des polonais de la région de notre aïeul.
Enfin, après trois heures de pages tournées et de murmures imposés, nous trouvons à notre grand-père sept frères et sœurs et la confirmation de son état civil, né polonais sous protectorat allemand à Bachorce en 1893 et immigré en France en 1921 avec sa première femme et sa fille.
Il est 15h00 quand nous quittons les archives et le soleil s’écrase déjà à l’ouest. La nuit propage son obscurité. Constat : celle-ci est moins malmenée qu’en France. L’éclairage de la ville est plus éparse et produit un équilibre avec l’obscurité.
Le soir, nous sommes à Bydgoszcz dans la famille de Marcellina. Nous sommes accueillis comme des papes d’autant plus que Marcellina joue à merveille son rôle de passeuse de cultures entre sa famille et nous.
Nous nous réveillons chez Marcellina dans une chambre bercée par le balancier d’une horloge traditionnelle...
A retenir : Le chant mécanique du coucou est un poison sonore à rendre fou.
Cette journée est importante : Nous devons visiter le village où est né notre grand-père.
Nous partons au petit matin. En sortant de la maison, je suis saisi par les effluves du charbon se consumant dans les poêles. Cette odeur si familière nous enveloppe chaleureusement.
Révélation : je découvre ma madeleine, chère à Proust, mais... A chacun la sienne.
En voiture, une gelée blanche surplombée d’un soleil rouge accompagne notre route et me réveille de la délectation des scènes de ma madeleine.
A Bachorce, à première vue, la facture des maisons et des fermes date de l’après-guerre et de la reconstruction. Quelques granges sont antérieures à cette période, mais ce village parait moins ancien que nos représentations de villages comme ceux de Normandie, de Provence, de Picardie, ou encore du Limousin.
La présence des microphones dans les bras d’Alexis nous ouvre les portes des fermes. Chaque personne rencontrée souhaite connaitre ses instants de gloire et un micro suffit à délier les langues. Seuls des chiens monstrueux et gueulards refroidissent notre arrivée. Ces cerbères franchis, Marcellina, très professionnelle, œuvre à notre projet en présentant la raison de notre venue au maire du village puis aux paysans : « Connaissez-vous la famille Pawlak ? Quelqu’un pourrait-il nous renseigner ? »
Le maire du village nous explique que son prédécesseur aurait pu nous aider mais qu’il a quitté le village pour les fêtes de noël. L’épicière, bavarde à souhait, nous indique plusieurs fermes où vivent des octogénaires susceptibles d’être intarissables sur ce sujet. Une vieille dame nous accueillant dans son salon, nous rappelle que les témoins recherchés sont très âgés, certains grabataires, d’autres encore morts dans l’année. Elle finit par nous orienter vers une adresse à l’entrée du village. Finalement, ce porte à porte nous amène chez une vieille polonaise aux yeux bleus calotte glacière et à la peau burinée par le temps et le froid.
Ô surprise, un air de famille, elle a le regard de notre oncle. Jeune fille, elle portait le nom de Pawlak. Elle nous indique le lieu où est né notre grand-père. Nous nous y rendons avec une certaine excitation, comme si nous étions sur le point de découvrir le saint graal.
Nous avançons en historien presque archéologue pour la Pologne. Qu’attendons-nous de découvrir ? De cette époque et de ce lien qui nous mène à ce lieu il ne reste que le vestige d’une grange en bois devant une maison moderne reconstruite après guerre.
Mais, rien n’est moins sûr. Les anciens sont les derniers rapporteurs d’une époque révolue, enfuie dans des fragments de mémoire. La destin de ces bibliothèques vivantes nous enferme dans l’incertitude des quelques traces récoltées. Par révolte de cette fatalité, les mythologies se fabriquent peut-être ainsi...
Le voyage continue...nous quittons Bachorce quelque peu perplexe avec de la matière sonore mais sans certitudes. Nous ne reparlons pas du moment passé dans le village de Bachorce, nous essayons peut-être même de fuir le sujet pour profiter des dernières heures passées en Pologne.
Après s’être remplis la panse dans un restaurant moderne, nous nous séparons de Marcellina et Michal.
Le soir, la voiture rendue dans son état initial, nous rencontrons Andrzej, un couch surfeur. Il nous invite avec une hospitalité sincère dans son appartement situé dans des barres en béton de Poznań. Il est à l’occasion livreur de spiritueux...
Andrzej nous a initié à l’esprit polonais : beaucoup de cadeaux, des bouteilles surtout...spiritueux, brandy, vodka, esprit blanc de la Pologne...J’ose la corrélation entre un reliquat de chamanisme proto-slave et l’effet de l’alcool national.
Notre initiateur nous dépose en voiture dans l’auberge qui nous accueillera pour les deux dernières nuits.
A Poznań, la ville se prépare à fêter le réveillon du nouvel an.
Dans les rues, des marchands vendent des panoplies d’artificier ; à y regarder d’un peu plus près, c’est un véritable arsenal de professionnel.
Nous mangeons le midi dans une cantine qui cultive encore le socialisme. Quand un principe est bon, pourquoi le détruire ? L’état finance sa part de social dans des cantines offrant des repas à des prix modiques et ouvertes à tous. Le repas est confectionné sur place avec des produits frais ; à Paris, on réinvente déjà le concept...
L’après-midi, nous continuons la visite de la ville. Dans un troquet made in USA , nous faisons la connaissance d’un couple de lycéens franco-polonais. Par leur candeur, ils approfondissent les langues. Malgré eux, le manque de maitrise de la langue de l’autre et leur désir compulsif l’un pour l’autre mettent en valeur leur vitalité. Ils sont attachants de beauté.
H-4 avant le passage en 2009.
Nous déambulons sur la place centrale de la ville à la recherche d’un restaurant pour un repas de réveillon no cheap. La fatigue nous écrase et finalement nous ne tardons pas à trouver l’objet de notre quête. Les spécialités polonaises boulotées, le digestif éclusé, nous quittons ce restaurant repus et satisfaits de nos choix culinaires. Nous constatons avec une certaine stupéfaction que sur la grande place, malgré la contraction du mercure dans les appareils de mesure, des centaines de badauds s’apprêtent à festoyer l’année supplémentaire.
Les effets de la digestion opèrent sur nos états physiques amoindris par la fatigue et le froid ambiant. Nous retournons à l’Auberge... Avant de nous endormir, des explosions nous arrachent de notre torpeur, la pétarade répétitive et intensive dure une demi heure... ambiance festive ou ambiance insurrectionnelle...
Lever vers 10h. Alexis doit écouter les enregistrements de notre pérégrination. De mon côté, je profite de l’accès internet de l’auberge pour surfer sur myspace, je pars à la recherche du groupe de musique dont l’affiche orne les murs.
Cette Mademoiselle Karen qui chante en français d’une voix ronde et suave de cabaret et sa formation suédo-polonaise répondent à l’attente de l’affiche.
Sur myspace, je remarque leurs dates de concert dans toute la Mitteleuropa, mais aucune date prévu en France. A désespérer de l’Europe et de ses murs culturels bien pesants.
Vient ensuite par les liens d’ « amitié » de ce réseau numérique, une cascade de groupes, formations et musiciens, suffisamment pour remplir la page du carnet :
Pogdono, Robotobybok, Hyphotopotama mama, Los Trabantos, Czeslaw Spiewa, Antoni Gralak, Labirynt, Opus 2 Brand Band, Adam Pieronczyk, Takao Fujiska, Robert Kubica, Aga Zaryan, Graz, Radek Nowicki, Marta, Koszarek, Aka Martte, Lukasz Zyta, Trifonidis Orchestra, Jerzy Rogiewicz, motion trio
Casque aux oreilles, , je navigue nonchalamment sur des rythmes blues, en jazzés parfois rock et ne vois pas le temps passé.
17 heures : nous remarquons qu’il fait déjà nuit, ce qui a le mérite de nous sortir de notre léthargie devant l’écran.
L’humeur enclin à festoyer, nous nous rendons au proletariat bar.
Dans un décor plombé par les fétiches et les tronches des apôtres de la révolution d’octobre plaqués sur les murs, nous dégustons la bière brassée pour ce pub, tout en commentant la semaine passée. Quand arrive un moment de silence où la fumée de cigarette s’égare en volute, nous remarquons la présence de deux femmes dans notre voisinage. A l’identique, elles discutent, fument et boivent. Le portable de l’une d’elle sonne, la réponse s’établit dans un français de l’Est. Raison de plus pour les aborder et entamer une conversation...
L’histoire familiale de cette française est similaire à la notre (migration du grand-père pour le travail des mines entre les deux guerres), à un grand détail près, sa polonité a été cultivée et renforcée enfant par des voyages dans sa famille en Pologne. Son acolyte se trouve être sa cousine. Notre conversation attire le regard et un jeune homme à l’allure estudiantine accoudé au comptoir intervient. Il se présente, il s’appelle Marcin et il s’empresse de nous proposer une tournée de Siwucha vodka. Nous nous exécutons sans nous douter qu’elle n’était que la première d’une suite qui se perd au petit matin...
Bilan de la nuit : à 7 heures du matin, nous nous endormons dans les lits superposés de l’auberge avec le vague souvenir d’un impératif à nous lever 3 heures après pour monter dans le train du retour.
Quand Karine de Lorraine est partie du bar, nous avions déjà fort sympathisé avec l’étudiant. Il est devenu notre guide dans la nuit post-réveillon poznanienne. Des rencontres avec des étudiants dans le pub. Des discussions sur l’Europe, sur la vie ici, la vie là bas. Des tournées de bières et de vodka... Plus tard, une soirée festive avec une piste où se retrouvent les petites mains du réveillon, eux aussi fêtent...une journée après. Nous discutons, dansons et buvons jusqu’à occulter le lendemain.
A 10 heures, une barre plaquée sur mon front, une bouche pâteuse, les idées vaseuses, bref une gueule de bois mémorable...et Alexis, pas mieux...
Nous arrivons à pied à la gare faute d’avoir trouvé le tramway et Alexis boit un café dans un fast-food implanté à l’intérieur. Pour plaquer du sens et du symbolique dans ce réel d’autant plus chaotique en voyage, il m’arrive comme tant d’autres par la lorgnette de ma conscience d’apercevoir un début et une fin de cycle : et si ces fast-food en était la frontière?
En voyant boire Alexis son café, j’ai le sentiment que notre recherche se clôt. Soit, nous n’avons ni découvert de nouveaux cousins, ni possédé la certitude de l’histoire de l’émigration de notre grand-père, mais est-ce cela que nous étions venus chercher ?
Le train quitte Poznań pour Berlin. Nous cuvons alors notre nuit sur le roulis du chemin de fer.
Le correspondance à la gare de Berlin n’apporte plus rien aux voyageurs habitués à ce lieu. La stupéfaction passée, nous la traversons comme un rond-point européen dans une Zone d’Activités Commerciales.
20 heures, nous rentrons dans nos compartiments respectifs pour passer la nuit avec cinq autres passagers. Mauvais tirage pour moi, mon voisinage se compose d’évangélistes de retour de séminaire. Dopée à la foi christique après les prêches du guide charismatique, plus prosélyte que jamais, une shanghaise plutôt séduisante essaie de me convaincre de ma nécessaire et rapide conversion pour le salut de mon âme. Pendant qu’elle débite sa glose vespérale, je lui découvre des lèvres qui mériteraient d’être honorées, et plus elle insiste et s’enfonce dans les méandres de sa théologie, et plus je la trouve séduisante... un autre voisin, qui fait autorité dans ce cercle évangélique, lui demande d’arrêter la conversion, il nous fait remarquer que notre conversation se limite à faire le tour de nos antagonismes. Il a raison : « je suis une terre trop aride pour que l’arbre de la félicité puisse y pousser mais si vous voulez quitter le compartiment et me laisser seul avec votre adepte, p’être que je retrouverai la foi ? » et sur cette dernière pensée décalée que je m’endors en espérant ne pas être réveillé par un rituel new age pratiqué chaque matin à cinq heures.
Le train arrive à la gare de l’Est. Elle me laisse l’adresse de l’église de leur congrégation. La perversion de certaines femmes dépassent parfois tous les guides moraux des religions...
Je retrouve Alexis sur le quai. Nous sommes à Paris. Une semaine passée dans un ailleurs... dans une faille spatiotemporelle en quelque sorte et nous avons rajeunis malgré nous en soignant ce trouble vivant sur l’angoisse de nos origines. Avant de nous quitter et retrouver notre quotidien à Paris, nous nous échangeons par souffle de la fumée de cigarette made in poland. Le rituel du mégot nous empêche d’avouer que, grâce à cette traversée, les conséquences de la physique quantique et des théories d’Einstein ont eu un effet notoire sur notre être...